L'OS français ne sera pas libre

Suite à une émission de Place de la Toile sur la souveraineté numérique, je vous avais déjà dit toute ma réserve sur l’idée d’une quelconque souveraineté en matière de numérique et à quel point l’auteur me paraissait hors de la réalité : non seulement on ne décrète pas un Google national (à moins d’être dans un pays contrôlant internet, c’est à dire une dictature) mais en plus tout ce qu’il faut pour créer un OS made in France existe déjà sous divers projets libres.

Mais revenons un peu en arrière. 
Pierre BELLANGER part du constat que le numérique tue l’emploi et ne profite qu’aux Etats-Unis tout en mettant la France sous sa domination. Ce n’est peut-être pas totalement faux mais si on regarde les choses dans un contexte plus global, la suppression des emplois ne date pas de l’ère d’internet et sans vouloir passer pour un gauchiste primaire, le capitalisme se nourrit intrinsèquement du chômage pour faire pression sur les salaires et démantèle petit à petit tous les acquis sociaux afin de mieux concentrer le capital. Pour plus de détails là-dessus, je vous renvoie aux très bonnes émissions de Là-Bas si j’y suis sur France Inter.
Il n’y a pas grand doute sur l’intérêt défendu par un grand patron de station de radio : celui des patrons. Et quel est-il ? Celui d’éviter de se faire piquer tous les bons plans par d’autres firmes sans pouvoir en profiter. Son objectif avoué ? Si ce n’est avoir une part de gâteau, au moins profiter des miettes : la miettocratie dans toute sa splendeur.

En effet, imaginez que vous êtes un patron français qui voit s’en aller aux Etats-Unis tous les profits sur la vente de produits culturels (Amazon), mais aussi sur la publicité (Google), sur les données des gens (Facebook) et sur les logiciels (Microsoft, Apple). Votre réflexe ne sera pas de libérer les gens de ces géants mais de vouloir en profiter. Dans un contexte où l’opinion publique commence à être un peu sensibilisée par l’appropriation des données personnelles ou la surveillance et que l’Etat lui-même se rend compte que la NSA a vraiment vu les choses en grand (mais je fais confiance aux services de renseignements de toutes les grandes puissances pour ne pas être en reste), le patron en question qui va voir les membres du gouvernement avec qui il est pote pour leur dire : « il faut attaquer sur le numérique sinon on va se faire bouffer tout cru », et bien ça marche. Un bouquin pour défendre le numérique national, une petite émission par-ci, par-là pour vendre le concept et le tour est joué ; Montebourg annonce qu’il faut reprendre en main nos données numériques et pour cela développer les infrastructures nationales et souveraines. Comme tout le monde n’y pige que dalle, ça passe. Bon, il y a bien quelques députés un peu plus au fait qui s’interrogent et tous les libristes qui se gaussent en comparant la chose aux divers coups d’épée dans l’eau précédents qui n’ont fait que jeter l’argent par les fenêtres.

Pour ma part, j’irais plus loin.

D’abord, on vous a dit que le système serait libre et ouvert mais c’est parce que c’est très à la mode tout comme maintenant toutes les entreprises sont citoyennes, responsables et respectueuses de l’environnement. En bons libristes, vous vous êtes dit qu’au mieux ce serait une distribution francisée et que cela existait déjà. Mais alors qu’on annonce le projet, on nous dit qu’Orange est déjà sur le coup. Excusez-moi de douter du côté libre et ouvert de cette société. Par ailleurs, l’auteur de la promotion d’une souveraineté numérique se montre ouvertement très favorable aux droits d’auteur et à la publicité (forcément, ce sont les moyens de revenu de son entreprise) alors que ce sont des ennemis du libre. Lorsqu’il parle "d’un réseau de services alternatifs et qui aurait comme particularité d’être libre, ouvert et de mutualiser les données des services qui y adhèrent", il ne s’agit pas de logiciel libre mais d’un service gratuit qui se nourrit de vos données, on pourrait dire la même chose de Facebook ou de Google.
Sans vouloir jouer les complotistes, il est très probable aussi que la France aurait plutôt intérêt à collecter les données sur ses citoyens plutôt qu’à le laisser faire par d’autres et elle a déjà commencé, tient grâce à Orange aussi, quel hasard !

J’ai un énorme doute que le projet aboutisse à quoi que ce soit de probant : on ne décrète pas un OS ou un réseau social comme ça, il faut avoir un peu de génie et jouer sur la viralité actuelle des modes. En plus, en démarrant avec 10 ans de retard, il y a peu de chance de pouvoir se mettre dans la course.
Mais si tant est que cela vienne à accoucher de quelque chose, ce ne sera pas libre et cela risque même de ternir voire entâcher l’image du libre car a aucun moment les 4 libertés fondamentales ne sont évoquées.

Les libristes se doivent de sonner la sonnette d’alarme et c’est ce que Tristan Nitot a déjà fait. Car si la France veut vraiment défendre un OS et des services numériques alternatifs aux géants du web, les solutions existent déjà : promouvoir les OS libres GNU/Linux (dont certains en bonne partie français), FirefoxOS, protéger ses données, etc. bref, faire ce que l’on fait déjà dans notre petite caisse de résonnance mais que personne n’entend au-dehors.

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