A défaut d'obscurité, l'éclipse nous plonge dans l'obscurantisme.

A priori pas grand chose à voir avec le thème du blog mais je réussirai peut-être à raccrocher les morceaux si je ne m’égare pas.

Vous n’avez pas pu ne pas être au courant qu’il y avait aujourd’hui une éclipse (enfin si des chanceux avaient un coin de ciel bleu, moi je n’ai rien vu dans la grisaille), sinon, c’est que vous êtes au fond d’une grotte et que vous ne pouvez donc pas lire ces lignes.
Dans un premier temps, tout le monde est content ; pour ceux qui ont vécu celle de 1999 qui était totale, on se souvient avec émotion, un événement assez fantastique à vivre.
A l’époque aussi, on nous avait bien mis en garde de ne pas regarder directement et pas mal de monde avait réussi à se procurer des lunettes il me semble. Je n’avais pas d’enfant à l’époque donc je ne sais pas comment la chose avait été traitée. Mais là, c’est fort de chocolat.

Petit à petit, dans le monde modernisé qui vise le risque zéro, tout le monde a commencé à se faire peur. Dans une ère de l’anti-terrorisme, aujourd’hui, c’était le soleil le grand méchant et s’il avait eu un site internet, ne doutons pas qu’il aurait été bloqué. En plus, ça va se passer pendant la récréation, imaginez, tous les enfants vont finir aveugle. Alors tout le monde ouvre son parapluie. Circulaire dans les académies, enseignants mis en garde par la hiérarchie et par les parents media-traumatisés : c’est décidé, tout le monde dans les classes et interdiction de sortir, privé de récré et stores baissés.

D’un événement exceptionnel que chacun ne pourra vivre que quelques fois dans sa vie, on traumatise tout le monde (papa, le soleil il va nous brûler les yeux !). Alors qu’elle était prévue depuis des années (siècles ?) et que cela aurait pu donner lieu à une expérience d’apprentissage pour tous, on en fait un danger parce que personne, du politique, à l’administratif en passant par les enseignants ne voient plus loin que leur fil Twitter et que tout le monde s’est réveillé il y a 10 jours au lieu de prévoir cela de longue date.

Dans les faits, le temps a été pourri pour beaucoup de monde. Dans le Nord de la France, une bonne vieille grisaille qui nous donne droit a une éclipse totale de nombreux jours de l’année s’était invitée donc on ne voyait même pas où se situait le soleil.
Ouf ! Pas de problème alors, on fait comme d’habitude. Ben non. Privé de récré quand même. Et toi là-bas dans la classe, ne regarde pas dehors ! Tu veux aller aux toilettes ? (qui sont dans la cour) Bon d’accord, mais tu regardes par terre quand tu traverses (du vécu raconté par mon fils en primaire).

On est où là ?

Le enseignants sont maintenant supposé avoir Bac +5 pour devenir instit, disons que tout le monde a au moins Bac +3. A ce niveau d’étude, on sait en principe qu’il ne faut pas regarder le soleil si on veut garder sa vue, mais pas seulement quand il y a une éclipse ! On devrait aussi savoir que quand il y a des nuages personne n’est jamais devenu aveugle en regardant le ciel. Et pour ceux qui savent, il y a un moment où il faut arrêter d’être un bon petit soldat pour refuser d’obéir à des ordres stupides ou lorsque la situation a changé (pour ceux qui ne sont pas de cet avis, allez étudier l’expérience de Milgram et interrogez-vous sur ce que vous auriez fait si vous aviez été allemand en 1940).

Toute la société en vient à marcher sur la tête avec ce genre de conneries. Exemples qui n’ont rien à voir : les goûters collectifs doivent toujours être dans des emballages individuels pour éviter une quelconque intoxication alimentaire, les agriculteurs qui veulent vendre des tartes sur les marchés ne peuvent plus utiliser leurs oeufs et leur lait mais utiliser des œufs en poudre et du lait UHT (dans la cuisine collective aussi d’ailleurs), souvenez-vous aussi de la grippe aviaire qui a imposée l’abattage de toutes les volailles de plein air, enfin, si vous avez eu la chance de connaître une femme enceinte au XXIème siècle, son régime alimentaire se résume aux pâtes et au riz, surtout pas de légumes, de poisson ou de produits laitiers (pour éviter des tas de maladies pouvant toucher le fœtus).
Au nom d’un risque (souvent minime), on fait peur aux gens qui pourtant vont plus pâtir de la précaution (régime non équilibré ou industriel -gras, salé, sucré- plutôt que produits frais préparés maison par exemple).

Cela ajouté à une volonté que personne ne veuille être responsable en cas de problème, tout devient interdit. Et le temps s’y prête bien. D’ailleurs tout ce qui n’est pas interdit mais déconseillé, nos appareils connectés se charge(ro)nt de nous le dire : vous êtes au dessus de la vitesse autorisée, tournez à droite, vous n’avez pas marché suffisamment aujourd’hui, votre pouls est trop rapide, vous dormez trop peu, vous risquez un infractus...

Sur ce thème, j’ai lu il y a quelques temps Risque Zéro de Pete Hautman, de la littérature jeunesse mais qui traite des sujets qui nous concernent particulièrement en ce moment :

Imaginez un monde où tout risque est banni, un monde où le danger n’existe plus, où tout ce qui peut nuire est un délit. Fini le sport, trop dangereux ! Interdites, les passions trop violentes ! Ce monde du risque zéro, c’est celui des États-Sécurisés d’Amérique, en 2074. C’est aussi celui de Bo Masten, 16 ans. Pour lui, ce monde est un cauchemar. Et il décide de résister. Pour être libre. Pour prendre le risque de vivre, tout simplement...

Finalement, on n’aura peut-être pas à attendre jusqu’en 2074 pour en arriver là !

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