Pas mal de monde se demande ce qu’il pourrait faire pour que le libre progresse et beaucoup se disent aussi que ne pas faire quelque chose ne sert à rien. Autrement dit la chose est souvent réduite à coder et installer alors qu’il y a bien d’autres actions plus subtiles qui ont leur utilité.
Je ne vais pas revenir sur toute la chaîne de production d’un logiciel libre qui requiert des compétences telles que le design, l’interface homme-machine, la traduction, le test, la remontée de bugs, etc en plus des capacités de développement.
De même au niveau de l’installation, il faut avoir des compétences en architecture matérielle, en pédagogie auprès des nouveaux utilisateurs afin de les rendre autonomes, en administration système, etc.
Mais autour de ces deux pôles (dev/admin), il y a tout un tas de choses beaucoup plus nébuleuses qui font que des personnes s’intéressent aux logiciels libres ou les utilisent sans le savoir, que d’autres entrent dans la communauté des libristes, propagent la bonne parole, essaient de convaincre leurs proches, des entités (collectivités, associations, services publics) ou encore d’empêcher d’être écrasés par les lobbies propriétaires.
Reprenons au début.
Des gens se sont démenés pour construire des outils qui permettent d’installer des systèmes qui offrent les mêmes fonctionnalités que les systèmes propriétaires, d’autres se sont démenés pour les installer chez n’importe qui. Pourtant, malgré (ou à cause de) sa gratuité, très peu de gens utilisent volontairement des OS libres.
En voici quelques causes :
- l’appareil était pré-installé par un système connu et répandu qui fonctionne
- non connaissance de la philosophie du logiciel libre
- peur de la machine ou non envie de mettre les mains dans le cambouis
- dépendance à une personne qui sait faire et ne souhaite pas s’engager dans le libre
- croyance que si l’on paye c’est que c’est forcément mieux fait que si l’on ne paye pas (alors qu’on utilise un tas de trucs gratuits / crackés / freemium / services qui se payent indirectement par la pub ou les données)
- peur (parfois justifiée) qu’une utilisation ne sera pas possible (logiciels spécifiques, jeux, etc.)
- déception suite à une installation qui ne répondait pas aux besoins/habitudes et sans support qui n’a pas permis de faire une transition totale vers le libre
- retour au propriétaire parce que blocage sur un paramétrage de matériel ou de logiciel particulier ou simplement marre de devoir configurer alors que ça marche tout seul sur d’autres systèmes (mais si cet argument pouvait être vrai il y a dix ans, il est de moins en moins vrai et la tendance s’inverse quand il faut installer tout un tas de drivers)
Le nouvel utilisateur de logiciels libres, s’il n’y vient pas par conviction et/ou par compétences dans le bidouillage doit donc être pris par la main pour qu’il persiste dans son choix malgré la pression sociale (c’est toujours difficile de faire autrement que la majorité). Il ne sera pas forcément attiré par les sphères libristes dont il ne comprendra pas l’intérêt, ni le niveau de technicité. C’est l’avantage de HandyLinux par exemple, qui tient la main des nouveaux utilisateurs.
D’autres groupes/associations ont leur rôle à jouer auprès du grand public, des médias ou des décideurs.
C’est le cas par exemple des GUL et autres associations qui sont malheureusement en perte de vitesse avec des Install Party moins courantes mais parce qu’il devient de plus en plus facile à installer une distribution sans avoir à passer par la ligne de commande ou les fichiers de config comme c’était encore le cas il y a dix ans.
L’APRIL, entre autres, s’occupe de faire de la veille sur tous les articles parlant de logiciels libres (et il y en a beaucoup, même dans des journaux grands publics) et de faire de la promotion lors de manifestations ou condamner certaines pratiques comme la vente liée.
La Quadrature du Net est principalement engagée dans de la veille juridique et dans du lobbying auprès des instances européennes pour contrer les menaces qui pèsent sur les libertés numériques.
Certains (ils se reconnaîtront et viendront prouver leur bonne foi dans les commentaires) pensent que tout cela ne sert à rien, que ce n’est pas actif, que cela ne fait pas avancer le schmilblick. Personnellement, certaines activités (lire les textes, les amendements ou projets de lois qui nous menacent et lutter pour qu’ils soient abrogés) ne m’intéressent pas mais je les trouve importantes, c’est pourquoi je les soutiens financièrement (très modestement) afin que la situation n’empire faute de s’améliorer.
Finalement, c’est une sorte de décharge, je ne suis pas capable / n’ai pas envie de le faire moi-même mais trouve ça important donc je les soutiens et me contente d’écouter quelques compte-rendu et conférences pour savoir les combats, avancées et défaites dans les derniers mois ainsi que les projets futurs pour savoir si je continue à les soutenir mais c’est tout, je ne veux pas suivre les longs articles ou aider à mener des actions (téléphone, mail, etc.) auprès des politiques, ce n’est pas mon truc.
Une autre activité et pas des moindres pour vous et moi puisque j’écris et que vous me lisez, c’est l’activité de blog, forum et autres réseaux sociaux. C’est purement de l’entre-soi où l’on parle entre convaincus mais pas forcément d’accord sur tout. On partage le même intérêt, certaines activités (tester, bidouiller, observer les interactions de la société avec les outils numériques, ...) et on a nos avis et solutions qui nous sommes propres à chacun.
Alors diverses tendances se dégagent, les pro-trucs et anti-machins, les plus libristes que moi tu meurres et les plus open-source c’est tellement moins intégriste. On s’écharpe gentiment, on fait des pronostic et on perd ou on gagne avec des "je vous l’avais bien dit". Tant que c’est entre nous, pas de problème, si vous avez fait partie d’autres mouvements, clubs, sports, etc. , vous avez pu vous rendre compte que cela existe partout et d’autant plus que l’on se pense moralement meilleur que le reste de la société. Difficile de descendre de son piédestal et se rendre compte que nos grandes vertus ne représentent qu’une infime minorité de la population alors que l’on détient la vérité suprême.
Bref, à la limite, tant qu’on se trolle gaiement, c’est qu’au moins on est encore quelques-uns à s’intéresser au sujet. Le problème, c’est quand on dénigre les activités des autres et que cela sort du cercle ou que cela fait baisser les bras à ceux qui mènent des projets qu’ils pensent bons ou utiles, parce que même si c’est le cas, ils seront plus marqués par les critiques que par les encouragements souvent silencieux.
C’est pourquoi, j’ai choisi et j’en ai déjà parlé, de ne faire que soutenir les projets qui me semblent utiles et intéressants sans dénigrer les autres. Ces autres sont peut-être utiles pour quelques-uns d’entre-vous et les critiquer serait néfaste pour tout le monde. C’est tuer dans l’œuf des initiatives qui peuvent être le commencement de projets intéressants. S’ils ne le sont effectivement pas, ils ne trouveront pas d’utilisateurs et encore moins de communauté pour les faire vivre et s’éteindront d’eux-mêmes.
A quoi cela sert de critiquer un fork, une association ou un environnement de bureau s’ils ne portent préjudice à personne ? C’est perdre son temps à critiquer ce que l’on connaît mal (puisque l’on n’aime pas). Et même si l’on considère que c’est du temps, des moyens ou de l’énergie perdus, cela ne veut pas dire que ceux qui s’y engagent le reporteraient sur un autre projet (je suis même persuadé que non).
C’est bien gentil de vouloir clamer l’unité du logiciel libre, d’appeler de nos vœux que tous se rangent sous une même bannière, personnalité ou mouvement mais tant que durent ces petites guerres intestines, on ne fera qu’augmenter la fragmentation vis-à-vis de l’extérieur.
L’important n’est pas qu’il y ait des centaines de distributions (d’ailleurs si le fork devait être régulé, chacun hurlerait à la perte de liberté, il n’y a qu’à voir quand un navigateur empêche certains add-on) mais que les plus populaires restent visibles et non entachées par les critiques internes qui les font finalement évoluer sur le bon chemin.
En conclusion, il y a de multiples activités qui ont pour but de faire connaître, promouvoir, défendre les intérêts du libre et que chacun de nous peut y prendre part d’une façon plus ou moins active que ce soit sur le terrain de l’action, des idées ou des moyens financiers mais qu’il nous appartient surtout de ne pas dénigrer ce que font les autres afin de ne pas agir contre l’intérêt de la cause commune aux yeux du grand public.
Merci de m’avoir lu jusqu’au bout, c’est à vous de jouer !
1 De Cascador -
Un très bon article.
Tcho !
2 De ideefixe -
Merci beaucoup pour cet article que je trouve pertinent, en particulier la conclusion.
« il nous appartient surtout de ne pas dénigrer ce que font les autres afin de ne pas agir contre l’intérêt de la cause commune aux yeux du grand public. »
3 De Bonoboh -
Tout allait bien jusqu'à presque la fin ;) ... La conclusion
Déjà ne pas critiquer alors qu'il y a matière pour alerter qu'il faut qu'on peux faire mieux est un non sens ... et une dépendance à laisser faire ceux qui font sans se préoccuper des utilisateurs par exemple !
Quand a laisser faire les fork en fork etc, c'est aussi un non sens quand d'un autre coté on va par exemple défendre d'autres point de vues comme l'environnement l'écologie etc ! En effet le trop plein de fork en fork et de petits bouts veux quand même déjà dire qu'il y a plein de dépenses d'énergies en pure pertes alors même qu'il manque pléthore de réponses a des besoins !
Et on pourrait argumenter comme ça assez longtemps ... pour dire que le libre actuel et nombre de ses acteurs qui pourtant s'échinent a lutter contre le privatif sont les premiers responsables du peux d'adoptions du libre / opensource par la grande majorité !
Même l’argument sur la gratuité qui serait un frein est une réalité mais aussi une contre vérité puisqu'on peux faire financer le libre de façon équitable notamment par le biais de Dons, et d'autant plus efficace si ces dons sont fait en partie financièrement, et en partie sous forme de compétences même minime ! Mais le Libre n'entends pas les propositions pour justement mieux faire se déployer un autre paradigme économique qui permettrait de mieux faire financer le libre et l'opensource ...
Donc non il ne faut pas laisser faire ... et oui il faut peut être défaire le libre actuel pour en faire un autre ! A moins que le libre actuel entende d'autres voix/voies et les suivent au lieu de rester sur ses principes archaïque ... Et oui s'il le faut, il faut défaire le libre actuel s'il n'est pas capable d'évolué
En tout cas il faut Agir ... Autrement ... par un Equi'Libre ... ;)
4 De alterlibriste -
@Bonob0h : comment veux-tu réguler les excès de forks ? Par une brigade anti-fork, par une interdiction de forker (fermer le code ou licence restrictive) ? Je n'ai pas dit que tous les forks étaient utiles et qu'il ne faut pas essayer de regrouper les projets communs ou suggérer des améliorations mais passer son temps à pester sur les forks, c'est leur accorder trop d'importance alors qu'ils vont mourir tout seul. Mais à l'origine, un fork nait d'un manque ou d'une divergence, s'il trouve son utilité, il sera suivi et vivra.
Je ne suis pas non plus pour le paiement des logiciels libres et j'apprécie plus de pouvoir contribuer (financièrement ou techniquement) mais pour le grand public, ce n'est pas lisible et pour beaucoup, le simple fait que quelque chose soit gratuit signifie amateurisme.
5 De Redscape -
Salut !
Je reviens sur un point de ton article:
"déception suite à une installation qui ne répondait pas aux besoins/habitudes et sans support qui n’a pas permis de faire une transition totale vers le libre"
C'est tout à fait ça. C'est triste à dire, mais tu ne peux pas te satisfaire du libre quand tu as des activités qui ne peuvent te permettre de faire une transition.
Très rapidement, pour poser le contexte, je fus un libriste plutôt frange dur, revenu "de l'autre côté" parce qu'il fallait bien manger donc pas trop le choix. Au final, ça m'a aidé à l'acceptation de 2 mondes, le libre et le propriétaire, et je vis avec ça depuis 3 ans.
Cette acceptation, je la vis au travers du dual boot. Mais à terme, cela finit par être fatiguant et lassant. Donc on choisit. J'ai choisi un peu de liberté (quoique...). Mais même en me forçant, ça ne fonctionne pas, et ça a fini en Windows. C'est comme ça. Il y a la volonté, mais quand tu passes 2h à configurer quelque chose qui au final ne fonctionne pas et ne fonctionnera pas, là, tu as les boules. Et là tu te réveilles, et tu passes à autre chose, en oubliant très fortement ce qui vient de se passer. C'est ce que j'ai choisi de faire. Je contrôle mon informatique, mais ce type de phrase, même si elle est vrai pour certains, n'est pas un modèle généraliste. De la même manière qu'un blogueur libriste nous informe que nous sommes tous des moutons parce que Windows, FB, Apple, Amazon, etc...c'est sale.
Je pense que chacun gère sa vie comme il peut. Et lire ce type de phrase alors qu'il faut bien manger à la fin du mois, ça me met la rage.
Ta phrase étant plus mesuré, et ton billet ayant une approche constructive et intéressante, je me suis décidé à commenter. Mais j'en ai aussi un peu marre de me faire traiter (oui je le prends personnellement), de feignasse, de paresseux intellectuel, juste parce que j'ai décidé de me faire plaisir en jouant ou en faisant de la musique. J'ai aussi la liberté de le dire et de l'exprimer, pas de me faire insulter à longueur de billet. Et malheureusement chez les libristes, c'est tout ou rien.
6 De alterlibriste -
Merci Rescape pour ton retour, le syndrome du puriste est parfois contre-productif et si on peut se l'imposer à soi-même, on n'a aucun droit de juger les autres sur leurs choix au risque de les rebuter totalement.
Lorsque je parlais d'expérience décevante, c'était à un niveau plus basique de par exemple ne pas réussir à configurer un de ses périphérique alors que la solution existe mais nécessite un peu plus d'expertise ou l'aide de quelqu'un (forum par exemple) mais que l'utilisateur débutant ne saura pas trouver ou formuler correctement. Sur des domaines techniques particuliers, il n'existe parfois tout simplement pas les outils de qualité comparable à ceux des systèmes propriétaires et effectivement le dual boot ne peut servir que de dépannage ou pour une utilisation particulière.
J'avais vraiment bien aimé tes podcasts d'En flux libre, peut-être que des expériences futures te permettront d'apprécier à nouveau les outils libres.
7 De Redscape -
Zut je suis démasqué 😅 !
C'est gentil en tout cas. D'ailleurs les émissions sont toujours en ligne (je crois de mémoire que c'est sur enfluxlibre.podcloud.fr)
Je suis justement dans des domaines particuliers qui font que je dois adopter le pragmatisme, sinon je passe des heures et je n'ai ni l'envie, ni le temps.
J'administre un serveur avec Aldevar (celui qui animait EFL avec moi) sous CentOS j'heberge mes besoins, j'utilise pas mal d'outils libres dans mon quotidien (même si côté navigateur j'ai arrêté de me battre avec FF).
En tant qu'observateur éclairé du logiciel libre, je constate les clivages, les forks trop nombreux pour être honnête, le repli sur soi, le manque de concertation et le tirage de patte constant. Et en France c'est plutôt féroce. Moi je suis pour le Vivre Ensemble et le LL en a grand besoin. Ca n'est que de l'informatique, pas une fin en soi.
Si demain je peux faire de la musique et jouer sous Ubuntu, Arch ou Fedora, pas de problèmes je le ferai. Mais apres des années a me triturer le cerveau, j'ai décidé de me laisser en paix et de continuer mon chemin vers ce que j'ai envie de faire. Donc plus de questions sur l'OS même si mon for intérieur adore les OS à base de Linux.
Et malheureusement, à force de lire des billets pas toujours intelligents ca et là. (pas chez toi ni chez Cyrille, vous êtes les 2 exceptions), j'ai fini par me braquer tout seul. Et je suis sur que d'autres se sentiront également visé et se braqueront.
Désolé, ca fait un peu 3615 MyLife 😊 .
8 De Grazoth -
Salut,
j'ai trouvé ton propos assez pertinant dans l'ensemble, j'ai un peu de mal a comprendre le fait que redscape prenne ça pour un reproche envers les gens qui sont retourné vers le propriétaire, mais je passe peut être a côté de quelques chose. Pour ma part, l'adoption definitive d'un système libre m'a apporté beaucoup de satisfactions, mais a aussi fait changer mon utilisation de l'informatique, sans que j'ai le temps de m'en rendre compte, je suis passé d'un outils a une "fin en soit" ou j'avais un besoin viscérale d'avoir une machine configuré au petits ognions (reforme de l'orthographe de 1990 inside). Le temps de cligner des yeux j'avais basculé dans un monde de libriste intégristes et j'ai pu constater que les discours que l'on tient dans ces cas là sont loin de faciliter l'adoption des outils libres par les non initié/convaincue. Maintenant, j'ai mis de l'eau dans mon vin et j'essaie juste de facilité l'adoption des outils par les débutants avec mon GUL. Le système d'exploitation n'est plus pour moi le fondement du libre, avoir un système libre c'est bien, mais avoir des outils libre qui fonctionnent sur toutes les plateformes est pour moi plus important que de faire la chasse aux forks de distributions GNU/Linux.
Sur ce, il est l'heure d'aller manifesté contre la loi travail, c'est plus constructif que de troller sur SystemeD. (enfin, je l'espère en tout cas)
Tcho