Dans le doute, abstiens-toi

Revenons sur le billet de Cascador repris et approfondi par Cyrille qui de ses travers de prof lui accorde un 12 alors qu’il ne mérite pas la moyenne. Car le 12 est accordé sur l’analyse qui ne va pas assez loin (mais une suite est promise), alors que l’attitude est digne d’un cancre.

En résumé, nous avons un libriste plutôt convaincu qui nous annonce sur fond d’annonces apocalyptiques sur la fin du monde de Firefox que, de toutes façons, s’il venait à être vraiment moins performant que la concurrence, il n’hésiterait pas longtemps. Et pourtant de se défendre dans les commentaires que s’il disparaissait, ce serait la mort dans l’âme qu’il installerait Chrome de force.

C’est à se demander si le doute n’est pas à immiscer dans l’esprit des gens afin de n’être pas le seul à retourner sa veste le moment venu.

D’un autre côté, Cyrille nous dit que c’est avant tout pour la gratuité qu’on utilise du libre et d’interroger notre rapport à l’argent. Il se demande si on est prêt à contribuer ou pas et de quelle manière (code, contribution, débogage, financement…). Lui est prêt à utiliser si c’est gratuit tant qu’il ne serve pas de pigeon (données, liberté…).

Le sujet passionne et les commentaires fusent arguant notamment qu’il n’y a pas que Firefox et Chrome et qu’un tas d’autres petits navigateurs peuvent faire le job si Firefox devaient définitivement décliner.

Si Cyrille va plus loin, enfin dans plus de directions (mais je ne suis pas qualifié pour lui donner une note), il reste encore pas mal de facettes qui n’ont pas été abordées.

Pour résumer ma situation personnelle, j’ai toujours fui Internet Explorer pour Netscape et naturellement, j’ai adopté Firefox depuis sa sortie et sans défection envers lui, la réciproque n’étant pas toujours vraie, j’y reviendrai. Un navigateur qui ne dépende pas d’un gros monopole logiciel (que ce soit Microsoft ou Google) est pour moi indispensable pour garantir une navigation libre et un internet sain. Le parallèle entre ces deux monstres peut être mené plus loin puisque ils s’imposent tous les deux de manière plus ou moins forcée en profitant d’être installés par défaut ou en forçant la main de l’utilisateur peu attentif.

D’ailleurs, tout le monde ne cesse de parler de la montée de Chrome en présentant l’argument de la performance alors qu’une bien petite partie d’utilisateurs le choisit pour cela, mis à part les geeks qui cherchent l’outil le plus puissant. On a parlé d’une installation plus ou moins forcée, beaucoup de monde oublie aussi que le mobile a dépassé le desktop en volume de consultation web et ne cesse d’augmenter ; comme par hasard, Android étant majoritaire, c’est Chrome qui est le navigateur par défaut, CQFD. Les gens ne choisissent pas Chrome, ils sont sur Android. Sur PC, pas sûr que beaucoup fassent la différence mais si c’est la même icône que sur le téléphone, c’est plus facile à trouver.

Je pense que le débat sur le choix du navigateur concerne une minorité de gens, et nous ne représentons qu’une petite goutte d’eau qui ne changerait pas grand-chose aux chiffres. La question a se poser, c’est pourquoi nous, on a choisi Firefox ? Certains s’accrochent à leur extension favorite qui risque de disparaître, pourquoi pas ? Mais c’est un peu faible. Moi, c’est parce que pour l’instant, il me semble que mes données ne les intéressent pas et qu’ils me laissent paramétrer mon navigateur comme je l’entends et surtout bloquer la pub. Quand bien même Chrome serait deux fois plus rapide, si mes données sont traquées et que je suis abreuvé de messages sponsorisés ou publicitaires, c’est sans moi.

Le problème, c’est que Mozilla, qui est quand même une fondation, a pris une attitude de start-up ou de n’importe quel géant du web : il faut de la poudre aux yeux, une nouvelle version toutes les 6 semaines, des projets qui marchent vite, les autres on les abandonne en route (RIP Firefox OS), des locaux à prix exorbitants en plein Paris, des tentatives pour gagner de l’argent (divers moteurs de recherche un peu indiscrets, Pocket, du Google qui se cache dans les coins …), des tentatives inespérées pour courir derrière Chrome avec bientôt du préchargement de pages alors qu’on n’a rien demandé… n’en jetez plus, on va m’accuser de Mozilla bashing. Parce que oui Mozilla déçoit le libriste, avec Firefox OS, plein de gens enthousiastes soutenaient cette entité en espérant avoir accès à un internet plus libre depuis des appareils mobiles. Nous avons été quelques uns à succomber aux sirènes alors que nous résistions encore aux appels de ces petites machines sous prétexte qu’elles n’étaient pas libres. Bravo, cela a fait plus d’utilisateurs maintenant sous Android (plus ou moins castré pour se donner bonne conscience, “mais cette appli-là, ce n’est pas négociable”). Alors, oui la confiance est rompue, de Mozillien convaincu, je suis devenu très méfiant vis-à-vis de toute nouvelle annonce.

En plus d’avoir déçu ceux qui défendaient la cause, maintenant certains se sont retournés contre elle et bientôt recommanderont Chrome pour tel ou tel avantage technique. Et bientôt, comme un Mark Shuttleworth reprochant aux libristes de troller et d’être à l’origine de l’échec de Mir ou Ubuntu Touch, Mozilla nous reprochera de ne pas les avoir soutenus et d’être à l’origine de sa faillite. Mais nous n’avons pas demandé Pocket, d’intégrer les DRM, de précharger les pages ou que sais-je. Nous voulons naviguer tranquillement sur un web non pollué et sans être espionné par les sites que l’on visite. C’est tout ! Bien sûr, c’est quand même mieux si ça ne prend pas trois plombes, et surtout si ça marche.

Et c’est là que le bât blesse et pourtant je ne vois jamais ce type d’argument. Il arrive que certains sites fonctionnent mal ou pas du tout avec Firefox. Bien sûr, à trop protéger son intimité, on se crée parfois des barrages, un adblock qui empêche le chargement, bon le site nous dit qu’il faut le désactiver, à chacun de savoir s’il continue ou pas. Plus gênant, lorsque l’on empêche de transmettre les Referer (savoir d’où l’on vient), certains sites ne fonctionnent pas, celui de ma médiathèque par exemple qui ne charge pas tout (va savoir pourquoi), j’ai eu du mal à en trouver la cause. Pire, mon gamin qui va entrer en 6ᵉ a besoin d’une carte de bus qu’on ne peut faire qu’en ligne sur le site de la compagnie de bus de l’agglomération.

Ici, je vais faire un petit aparté (ce billet va être long, Cascador risque de s’endormir). À la maison, c’est moi qui décide de ce qui tourne sur les appareils électroniques, la plupart des trucs proprio sont éjectés manu militari. Donc forcément, j’ai droit à des souhaits du genre : j’aimerais bien avoir cette appli, ce jeu, accéder à tel service, etc. Souvent, je dois me résoudre à répondre “Ça ne marche pas sous Linux”, mais je fais quand même mon maximum pour trouver des alternatives ou des moyens détournés ; je dois quand même dire que je ne m’en sors pas trop mal et que la situation a (avait ?) tendance à s’améliorer (Flash va mourir, c’est promis). Mais dans le cas de la carte de bus dont ma femme a essayé de s’occuper, j’ai quand même eu droit à un “Parfois, j’aimerais quand même être sur un système normal”. Le problème, c’est que ça ne venait pas du système mais du site car si tout le monde est sur Chrome, pourquoi s’embêter à coder quelque chose de compatible avec d’autres navigateurs ?

J’ai toujours au moins un navigateur alternatif installé pour les cas de sites qui ne répondent pas à mon Firefox un peu protégé et pourtant, je n’ai que 3-4 plugins (anti-pub, cookies, referer) alors que certains bloquent tout y compris les scripts. J’essaye donc sur Midori ou Qupzilla, des projets un peu à la ramasse au niveau innovations et périodicité de releases sans compter que c’était sous Jessie, donc des navigateurs datant de plus de deux ans. Pour créer cette carte de bus, avec Firefox ESR (enfin j’ai dû en essayer au moins 3 versions, y compris celle de Firefox OS) bloquait à la 2ème étape sur 5. On clique sur suivant et rien ne se passe. Eh bien avec le vieux Qupzilla, seule la validation finale bloquait. La mort dans l’âme, j’ai donc installé Chromium et c’est passé comme une lettre à la poste. C’est là où l’on va. Nous n’aurons plus le choix parce que les sites seront prévus pour un seul navigateur (disons deux avec Safari pour les utilisateurs plus riches).

Bien sûr qu’à défaut de Firefox, je me rabattrai sur le premier fork venu ou sur un dérivé le plus libre possible mais jusque quand aurons-nous encore le choix de naviguer sur autre chose que sur un truc propriétaire à l’affût de nos données et souhaitant nous montrer toutes les pubs qu’il souhaite ?
En tout cas, ce jour-là je pourrai dire sans aucun doute que mon internet est mort.
En attendant, j’essaie encore de le garder sous respiration artificielle, faire douter de Firefox, c’est presque l’euthanasier.

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