Je ne suis pas encore intervenu sur Mastodon pour lequel certains s’extasient et d’autres émettent quelques doutes et je ne le ferai pas car je n’utilise pas ce genre de réseau ; j’ai beaucoup de mal avec ces bribes de conversations qui sont lancées dans l’arène publique avec des gens qu’on interpelle, des petites phrases qui se veulent percutantes, des liens raccourcis dont on ne sait pas où ils nous mènent. Difficile d’avoir de véritables échanges avec ce genre d’outil mais dans un monde de moins en moins inspiré par la prose où même un échange de photos devient un réseau social, ça semble plaire. Les articles les plus complets et argumentés que j’ai lu sont ceux d’Amaelle Guiton et de Philippe Scoffoni, enthousiastes mais lucides sur les limites du projet.
Néanmoins, même sans en avoir l’usage, j’en reconnais l’intérêt par rapport à un service comme Twitter pour son côté libre et décentralisé, seul l’avenir nous dira si le soufflé se dégonflera dans un gros prout ou continuera ses pouets. Par ailleurs, je peux en faire une petite analyse par rapport à mes expériences avec Diaspora* et GnuSocial. Je suis sur le premier depuis bientôt 3 ans, sur une instance de test, et j’ai fait une courte expérience du second en auto-hébergement.
L’avantage de la décentralisation, c’est que personne ne peut décider pour tout le monde et qu’on peut trouver une instance à son goût, quitte à la faire soi-même. Revers de la médaille, ça peut partir dans tous les sens. Il y a deux ans environ, Diaspora* a été confronté à ce problème avec des tas de comptes islamistes qui se sont créés et faisait de l’apologie pas forcément bienvenue, il a aussi été question de pédo-pornographie ainsi que du droit pour l’administrateur à faire la promotion d’une cause qu’il soutient. Quand la masse des Mastonautes nouveaux venus aura fini de s’extasier comme des pionniers d’un nouvel internet pur de toute publicité et d’idéologie, ces questions vont très rapidement se poser. Et la réponse est assez simple, c’est le propriétaire de l’instance qui est à la fois responsable et seul maître à bord. S’il décide de bannir des sujet ou d’en promouvoir d’autres, rien ne pourra l’en empêcher. Libre aux mécontents de changer de crèmerie si ces choix ne leurs conviennent pas.
Ici, intervient un facteur encore peu résolu dans les réseaux sociaux : celui de migration des comptes. Dans les grands silos non libres, la question ne se pose pas puisqu’on signe de notre sang que plus rien de ce qu’on y met ne nous appartient plus. Dans les réseaux libres et décentralisés, ce sont des fonctionnalités attendues de longue date mais bien peu implémentées. Ce n’est pas encore possible sur Diaspora*, il me semble que seuls les encore moins connus Hubzilla et Redmatrix le permettent.
En ce sens, un aspect de Mastodon assez peu abordé doit être souligné : le projet est très jeune. Même si les journalistes ont vite fait d’élire un nouveau Mark Zukerberg, un réseau social bâti par un jeune étudiant en à peine six mois n’inspire pas forcément une confiance sans limite, et le projet n’était peut-être pas prêt à une montée en charge aussi rapide. Les instances ont été prises d’assaut et n’étaient plus disponibles, beaucoup se sont inscrits de multiples fois trouvant toujours une meilleure instances : des tas de comptes se sont créés en doublons sans même la possibilité de les supprimer, les migrer est encore moins d’actualité. Il y a donc déjà beaucoup de comptes fantômes et une difficulté accrue de suivre quelqu’un qui déménage plus vite qu’il ne change de chemise.
Venons-en maintenant à la possibilité d’installer sa propre instance. Sans m’attarder sur les technologies utilisées sur lesquelles je ne peux me prononcer (mais qui sont forcément critiquées par ceux qui ne les aiment pas), ni sur le côté pas forcément user-friendly ou propre de la méthode, toujours est-il que cela est possible et que même Debian va proposer les paquetages pour le faciliter. Pourtant, lorsque j’ai expérimenté la chose avec une instance GnuSocial, deux problèmes se sont posés à moi : la possibilité que cela prenne rapidement de la place et de la puissance sur mon serveur et surtout le fait de mettre face au monde un serveur avec des données personnelles et des compétences en sécurité certainement pas infaillibles. Couplé au fait que l’on a affaire ici à un projet jeune sous le feu des projecteurs, je n’ose pas imaginer les dégâts si un petit malin trouve une faille et vienne prendre part à la fête.
Résultat des courses, comment avoir confiance en son instance au niveau des choix de modération et des compétences en sécurité si on n’est pas administrateur système ?
Exit les grosses instances qui ne feraient que reproduire celles des gros réseaux dans lesquels une bien-pensance va probablement émerger. Exit le bricolage dans un coin qui risque de mal tourner. Pourquoi pas faire confiance au pote qui a des idées et centres d’intérêts proches mais au risque de se retrouver à la rue le jour où il décide de tout casser (j’en connais un célèbre). Il ne reste à mon avis plus que les instances moyennes tenues par des assos (et des admins expérimentés) dont on partage les idées et choix de modérations, voire de censure. Et là se repose la question de qui paie pour ce service maintenant que ce ne sont plus les données et la publicité qui les financent.
1 De iceman -
Tu as très bien retranscrit mon point de vue sur la question et ce pourquoi je n'irai pas plus sur ce réseau que sur un autre, aujourd'hui.
Merci.
2 De toto -
Je suis réfractaire à ce genre de truc, ça te mange ton temps juste pour échanger des propos sans grande importance.
Alors héberger le bouzin ...
Quand les premiers pigeons hébergeurs passeront en justice, on verra les limites de la libre expression.
Diaspora ?
L'enfer c'est les autres : quand j'ai vu arriver les photos de chats, j'ai fermé mon compte.
On a le réseau qu'on mérite.
3 De lapineige -
> j’ai beaucoup de mal avec ces bribes de conversations qui sont lancées dans l’arène publique avec des gens qu’on interpelle
C'est un peu le défaut du fonctionnement à la Twitter, des fois des conversations plutôt privées (niveau sujet, mais en public) sont "parasitées". Ça se reproduire forcément sur Mastodon.
Par contre, la gestion plus fine de la visibilité (ex: qu'aux abonnés) peu limiter cet usage.
> des petites phrases qui se veulent percutantes, des liens raccourcis dont on ne sait pas où ils nous mènent.
Ça ne l'empêchera pas, mais ça ne forcera plus les utilisateurs: 500 caractères, on sort de la phrase à l'emporte pièce pour faire un petit paragraphe. Pas encore assez pour un long débat argumenté, mais ça ouvre les portes à une discussion, et à un discours construit. (un paragraphe par argument, ça peut le faire aussi)
Les liens vont bientôt être comptés comme une vingtaine de caractères, ça évitera les raccourcisseurs.
L'outil conditionne l'usage, Twitter et ses 140 caractères obligent à faire du court et percutant, en supprimant la nuance (et l'orthographe). Je pense que beaucoup d'utilisateurs de mastodon n'adopterons pas ce comportement en majorité (vu que tout le monde glorifie les 500 caractères ^^)
Ceci dit, on reste sur un fonctionnement assez proche - mais plus large - de Twitter, pas la même approche que Diaspora. Et chacun⋅e choisi ce qu'il/elle préfère utiliser.
Je te rejoins sur la décentralisation et les données, la question de l'instance.
(au fait, y'a une app' Yunohost ;) )
Pour la montée en charge, l'admin de mstdn.jp est monté à plus de 43 000 utilisateurs avant que l'instance crash, en auto-hébergement et probablement sur un serveur de compet'. La plus grosse instance actuelle a 60 000 utilisateurs.
Je pense que c'est sain de ne pas aller plus loin que 100 000 utilisateurs, sur un instance professionnelle par exemple ou d'une grosse asso' (donc payante, avec un service garantie).
Et d'avoir plein d'instances moyennes, associatives, de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d'utilisateurs. Là une adhésion à une association ou des dons d'une partie des utilisateurs (genre, 5€ tout les 1/1000) et ça devient rentable, déjà très décentralisé, et plutôt facile à maintenir.
> Quand la masse des Mastonautes nouveaux venus aura fini de s’extasier comme des pionniers d’un nouvel internet pur de toute publicité et d’idéologie, ces questions vont très rapidement se poser.
Elles se posent déjà, ça bouillonne de débats/idées.
Voilà, réaction en 2500 caractères (bienvenue dans le futur :D)
4 De eldor -
J'ai testé Mastodon, je n'ai pas du tout aimé, c'est un repère de propagande anarchiste et d'extrême gauche. L'ambiance n'y est pas tolérante...La décentralisation provoque la multiplication de Kapo faisant régner leur dictature locale. Les instances crashent car l'architecture est mauvaise. Il est impossible de supprimer son compte.
5 De Cyrille -
Tu l'as écrit quand celui là ? C'est pour savoir s'il faut vraiment qu'on vive ensemble. Celui de ce matin chez moi date de dimanche.
6 De alterlibriste -
@Cyrille: c'est ce que j'allais te demander en lisant le tien. Je l'ai écrit lundi en y réfléchissant depuis quelques jours. Nos billets sont vraiment sur la même longueur d'onde et on n'a même pas pu se citer tellement on a été synchro.
@autres : dommage de tant vous attarder sur la critique de Mastodon dont le billet n'est pas l'objet, juste que ce n'est pas un outil que j'utilise. En même temps, dans les moments d'euphorie, les critiques sont rares donc normal d'y retrouver la voix des mécontents.
7 De Michel Campillo -
.La décentralisation de Mastodon provoque la multiplication de kapos faisant régner leur dictature locale, oui c'est assez vrai ce commentaire. ☺ Comme quoi rien n'est parfait.
8 De f4b1 -
Je suis d'accord avec toi, il faut voir ce que ca va donner après la période "gentille" ou tout le monde est gentil avec des premiers utilisateurs enthousiastes. Reste à voir la suite maintenant avec l'arrivée des "autres" ...
Je pense que certains administrateurs d'instances risquent de passer beaucoup de temps à la modération et pas sur que tous ai le courage :/