L'industrie culturelle ne nous vend pas ce dont nous avons besoin

J’avais prévu de parler du nouveau rapport entre les artistes et leur public mais ma réflexion m’a poussé un peu plus loin donc ce sera l’objet d’un autre billet. Il sera cette fois question de la suite de l’analyse des nouveaux formats des produits culturels et surtout de leur commercialisation.

Les œuvres devenant copiables à l’infini sans qu’il y ait un coût supplémentaire, il est logique que ce qui est appelé par certains le piratage se soit développé. D’autres préfèrent appeler cela le partage, cela dépend de quel côté on se situe.

Je ne vais pas revenir sur les batailles qui se jouent depuis Napster jusqu’à la création de la Hadopi ou surla énième tentative de blocage de The Pirate Bay actuellement. Il est évident que comme lors de l’invention de l’imprimerie, les moines copistes ont vu leur job disparaître, la vente des biens culturels dématérialisés ne peut lutter contre sa diffusion même si elle s’y accroche par tous les moyens et tente de faire croire à un manque à gagner alors que c’est la libre diffusion qui augmente les ventes notamment de places de concert par exemple (ce qui depuis déjà longtemps rémunère plus les artistes que les albums vendus).

Certains artistes ont d’ailleurs commencé à diffuser leurs œuvres en Creative Commons ou font connaître leurs albums sur YouTube.
Mais revenons un peu en arrière puisque je me propose d’analyser un monde qui change.

Lorsque j’avais une dizaine d’années, nous avions des postes radio-cassettes ; le CD venait de sortir mais il n’était pas encore courant et les vinyles coulaient leurs derniers jours heureux principalement dans la vente des 45 tours (vous vous souvenez peut-être du TOP 50 avec Marc Toesca). Chez nous, on était à l’affût des chansons qu’on aimait bien et on appuyait sur Record pour les avoir sur cassette. D’ailleurs, il faut signaler qu’aux débuts de la radio, la diffusion de musique effrayait les maisons de disque de peur que plus personne n’achète de musique pourtant, c’est bien une explosion des ventes que cela à occasionné. La diffusion de musique en streaming actuellement est pourtant comparable.

Lorsque j’ai eu mon premier radio/cassette/CD, les albums des copains que j’appréciais finissaient sur cassette et c’étaient les grands moments de mon adolescence à la découverte de U2, AC/DC et Led Zep puis Nirvana. Personne ne parlait alors de scandale du piratage. Je ne pouvais de toute façon pas l’acheter tout ce que je copiais et j’achetais mes musiques préférées car c’est bien à ce moment-là que ma collection de plusieurs centaines de CD a commencé.

Puis, l’informatique est arrivée et on a pu commencer à copier les CD et là, c’était un bon en avant car on avait la même qualité pour un coût minime et encore un peu plus tard, les formats de fichiers compresssé ont permis de ripper les CD sur nos ordinateurs puis avec l’arrivée d’internet de les partager ou de les télécharger.
A un moment, les maisons de disques ont commencé à mettre des systèmes anti-copie sur les CD (des DRM avant l’heure) mais le problème, c’est que même le propriétaire du CD ne pouvait pas toujours lire sa musique sur tous ses appareils et dès lors, il valait presque mieux trouver les fichiers en warez plutôt que de payer des CD bridés surtout si on voulait les mettre sur les premiers lecteurs mp3.

A chaque fois qu’un système de bridage est adopté, un contournement est mis en place et la perte est finalement plus importante puisqu’il y a perte des acheteurs dits potentiels et aussi des acheteurs fidèles qui ne veulent plus acheter des produits bridés empêchant l’utilisation comme ils l’entendent.

Comprenez-vous pourquoi, je ne mettrais pas d’argent pour acheter un morceau de musique ou un livre qui ne fonctionne que sur une machine, sur un système donné ? Mes premiers CD ou mes premiers livres, je les ai acheté il y a 20 ans et je peux encore les faire écouter et lire à mes enfants, les prêter à mes proches ou les revendre et dans 20 ans ce devrait encore être possible. Pensez-vous que ce soit le cas pour les livres numériques qui s’effacent d’eux-mêmes lorsque vous passez la frontière, ou les mp3 que vous ne pouvez transférer sur une autre machine (alors que l’obsolescence se compte en quelques années au maximum) et dont personne ne pourra jamais hériter ?

Alors certes, on préfère vous vendre l’accès à un catalogue en streaming, la possibilité d’avoir sur un appareil qui tient dans votre poche l’intégralité de votre discothèque ou de votre bibliothèque mais tout ça c’est du vent car non seulement, votre esprit ne peut avoir l’idée de ce qu’elle renferme car vous n’en avez pas l’accès visuel direct mais en plus comment retrouver des passages que vous avez lu il y a plusieurs années et dont vous avez besoin pour un travail de synthèse ou encore vous remettre dans l’ambiance d’une époque de votre vie en réécoutant des albums qui vous ont marqué ?

Les dernières avancées sont, alors que tout le monde fustige le piratage des albums, de mettre l’intégralité des albums sur YouTube. Je me demande parfois comment certains grands écarts sont ainsi possibles. Certes, c’est un peu plus compliqué pour l’utilisateur moyen de mettre ces morceaux au format fichier sur un disque dur donc globalement, ils viennent de nous réinventer le passage à la radio pour l’ordinateur où le streaming et les vidéos de musiques seraient la radio et les MP3 à vendre, les CD. Parce que l’objectif est bien de maintenir une différence de qualité et de praticité sinon nous n’aurions aucun intérêt à acheter. Sauf que moi, qui veux un beau CD avec une pochette, je ne le trouve même plus en magasin. Ils ont perdu les ados qui n’ont aucun intérêt à acheter ce qu’ils peuvent trouver gratuitement et les amateurs qui ne trouvent plus se qu’ils cherchent et vont s’adresser directement aux groupes.

Et je pense que l’industrie musicale a toujours été le cul entre deux chaises à ne pas vouloir admettre que si les gens découvrent et écoutent de la musique même s’ils ne l’ont pas payé, c’est un moyen d’augmenter leurs ventes. Lorsque la musique a commencé à passer à la radio, lorsque l’on a commencé à ripper la musique en format numérique, lorsque le format numérique s’est développé au point de devenir un format de vente. Sauf que pour vendre quelque chose, il faut proposer une meilleure qualité, un emballage de l’œuvre (artwork, bonus) ou un format qui ne se détériore pas dans le temps. Pourquoi, ne nous propose-t-on pas des albums sur microSD ? Nous aurions toujours un objet à acheter, un emballage et la possibilité des le mettre dans tous les appareils de lecture. Car maintenant, on veut nous vendre du vent sans avoir la liberté d’utiliser ce que l’on achète comme on l’entend de peur que ce soit copié.

Mais comme je l’ai rappelé, la copie existe depuis bien plus longtemps qu’internet, les cassettes (audio et vidéo) étaient là pour ça. Cela n’a jamais empêché de vendre les films et la musique.
D’ailleurs, ce qui m’étonne c’est que les médiathèques n’aient jamais été accusées de méventes. Pourtant, actuellement, je regarde la plupart des films et écoute des artistes que je ne connais pas grâce aux emprunts en médiathèque. Et même si je n’achète pas et que je peux éventuellement copier, je rémunère pourtant l’artiste car l’achat est à titre collectif mais bien réel. C’est un achat partagé et j’accepte de ne pas en être propriétaire mais juste l’emprunteur pour un coût modique. Pourtant, les œuvres de qualité vont être achetées par de nombreuses médiathèques et l’artiste va être rémunéré, de plus, ce qui m’a plu, je vais peut-être l’acheter pour moi ou pour l’offrir. Cette manière de diffuser est donc particulièrement vertueuse, surtout que je peux consulter ou réemprunter dès que j’en ressens le besoin.

Résumons-nous. Il y a des tas d’œuvres musicales, littéraires ou cinématographiques disponibles.
Certaines sont clairement voués à être à notre disposition parce que l’on est fan, que l’on veut y avoir accès régulièrement, il nous les faut donc dans nos rayonnages pour y accéder à volonté et ce pour des années.
D’autres œuvres sont susceptibles de nous intéresser mais pas forcément d’être acquises parce qu’une fois parcourues n’auraient pas l’utilité de rester en permanence à notre disposition, leur découverte peut malgré tout parfois les faire passer dans la première catégorie.
Sauf que l’industrie culturelle voudrait que nous achetions l’ensemble de ce que l’on consomme et pour un temps limité. Elle casse donc totalement les besoins rendant inaccessible en permanence ce dont nous avons besoin et nous faisant payer pour ce dont nous n’avons pas vraiment besoin.

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